Pourquoi un retour à la Nature ne nous sauvera pas

Achille Morin Lemoine
18 min readMay 24, 2020

Essai sur le modèle économique optimal

Photo by Ravi Kumar on Unsplash

La nature est basée sur la recherche du point d’équilibre, au contraire de l’activité humaine qui cherche le point d’expansion : de là proviennent les vices qui caractérisent notre système.

Cette idée a souvent été la base de ma conviction selon laquelle nous autres humains devrions prendre exemple sur l’extraordinaire harmonie dans laquelle vivent les espèces qui nous entourent. Un écosystème sauvage est en effet basé sur une interdépendance de ses membres, ce qui l’amène à s’auto-réguler : chaque espèce a son rôle à jouer dans la chaîne alimentaire et aucune ne prend le dessus sous peine de se voir sanctionnée.

À l’inverse, le fonctionnement de notre système économique est fondé sur l’accumulation de richesses sans limites. En dehors d’une action externe (e.g. étatique), il crée des individus ou entreprises qui continuent de produire et de s’enrichir à l’infini.

L’évolution du chiffre d’affaires d’Amazon depuis 2004 : x40 en 16 ans. Vers l’infini et au-delà ? Source : Statista

En mettant ainsi en évidence la divergence d’objectif entre la Nature et l’Homme, on peut pointer du doigt les excès induits par notre système économique actuel, dont la dégradation de l’environnement n’est qu’une des nombreuses tares. L’argument est d’une logique implacable : on ne peut espérer produire toujours plus sur une planète aux ressources finies sans conséquences néfastes. Il semble à cet égard totalement inconscient de ne pas prendre exemple sur Mère Nature, et nous restreindre volontairement.

D’ailleurs, cette idée est souvent utilisée comme argument par les adeptes de la décroissance. Selon le degré d’extrémisme de l’idéologie, le capitalisme devait être rapidement régulé pour permettre son adaptation et donc sa survie, ou bien remplacé par un autre modèle économique qui respecterait plus l’Homme et son environnement -typiquement, une économie sociale et solidaire basée sur le partage au lieu de la propriété privée.

Toutefois, je pense qu’il est un tort de considérer la Nature comme la meilleure inspiration pour un système culturel (i.e. construit par l’Homme). Pourquoi chercher à reproduire le fonctionnement d’un écosystème duquel nous nous sommes extraits ? Peut-on simplement appliquer les mêmes ressorts à notre société si différente de celles des autres êtres vivants ?

En somme, à l’aune d’une crise écologique sans précédent, peut-on et doit-on s’inspirer de l’organisation du monde naturel ?

En guise de préambule, il est bon de donner quelques précisions sur le modèle économique dans lequel nous nous inscrivons aujourd’hui. La majorité des pays occidentaux vivent dans un capitalisme libéral.

Ce système repose sur deux notions fondamentales que sont la recherche de profit et de l’accumulation de richesses (ou capital), le bien-nommé capitalisme ; et la libre circulation des biens et services (libéralisme, ou libre-échange). Même si chaque pays adapte le modèle selon ses propres idées politiques, tous sont inscrits dans le contexte d’une économie mondialisée, et donc dépendants du système global.

Comment se comporte l’Homme à l’état naturel ?

Pour répondre à notre question, il faudrait commencer par établir l’état “fondamental” de l’Homme, le comportement que nous avons “par défaut”. Grâce à cette base, nous pourrions ensuite déterminer dans quelle mesure il faudrait s’en inspirer.

Nombreux sont les penseurs qui se sont penchés sur la question de la nature humaine, dont un des plus connus est certainement Jean-Jacques Rousseau. Selon lui, l’Homme serait à sa naissance moralement “neutre”, puis influencé par son environnement en grandissant. Cette vision fait peser une lourde responsabilité sur notre société, puisque nous serions en quelque sorte pervertis par elle.

Cet adorable bébé n’est-il souriant que parce que la société ne l’a pas encore corrompu ? Photo by Filip Mroz on Unsplash

Au contraire, une pensée plus défaitiste est de concevoir la nature humaine comme fondamentalement mauvaise. Chaque nouveau-né porterait en lui les graines des innombrables défauts du genre humain. Cette vision est largement répandue aujourd’hui, et nous sommes nombreux à considérer la cause de l’Homme perdue d’avance.

Alors, où se situe la vérité ? La nature de l’Homme doit-elle être favorisée ou réfrénée ?

L’humain n’est pas plus mauvais que les autres animaux

Selon Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, nous ne serions pas “naturellement” mauvais ou excessifs. En fait, nous aurions artificiellement créé un mythe autour du soi-disant égoïsme de la nature et de l’être humain.

De fait, la coopération serait le mode d’interaction privilégié en milieu hostile, alors qu’en temps d’abondance la compétition deviendrait la norme (“Je n’ai pas besoin de toi, je peux vivre seul”). Ceux qui survivent ne sont pas forcément les plus forts, ce sont ceux qui s’entraident.

Pour étayer leur thèse, les deux chercheurs prennent appui sur la sociobiologie, science cherchant à appliquer le darwinisme dans les comportements sociaux. Cette dernière établit que les rapports sociaux sont en équilibre entre deux forces.

D’abord, au sein des groupes, ce sont les égoïstes qui s’en sortent le mieux, ils peuvent donc se répandre mais finissent par détruire la cohésion des groupes.

Dans le même temps, les groupes les plus coopératifs sont les plus efficaces, ce qui signifie que les égoïstes doivent être les plus minoritaires possible.

Ainsi, une sorte de sélection naturelle pousserait les Hommes (au même titre que les animaux) à coopérer, rendant les groupes d’entraides les plus performants et donc aptes à survivre.

La richesse généralisée favorise l’égoïsme

En fait, ce serait l’hostilité du milieu qui influerait principalement sur l’ouverture aux autres des individus. Un environnement impitoyable force les individus à coopérer s’ils veulent s’en sortir ; à l’inverse, l’abondance ouvre la porte au chacun pour soi.

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Ainsi l’être humain n’échappe pas à la règle et c’est notre époque démesurément riche qui nous a rendus individualistes à ce point alors que, « par nature », nous serions plutôt altruistes.

Pablo Servigne et Gauthier Chapelle finissent par établir que, si la compétition existe bel et bien dans le vivant, elle n’est pas la base des rapports entre ses habitants.

Dès lors, on ne peut ni ne doit appliquer ce principe à l’Homme par défaut. On peut retrouver la pensée de Rousseau dans cette conclusion : nous ne sommes pas particulièrement bons ou mauvais par défaut, c’est notre environnement d’abondance qui nous pousse à être plus égoïstes.

Cet enseignement peut être extrapolé à la sphère économique, et on peut faire le parallèle avec le point que l’économie sociale et solidaire cherche à développer, à savoir que nous pouvons tout à fait mettre à jour un système qui ne soit pas basé sur une compétition entre individus.

De ce point de vue, la Nature peut totalement être une source d’inspiration pour nous, puisqu’elle favorise nos bons penchants et particulièrement l’entraide entre individus. Imiter l’organisation naturelle, c’est donc en quelque sorte lutter contre l’excès induit par nos sociétés modernes.

Mission accomplie donc ? Pas si vite…

Qu’est-ce qu’un monde “naturel” ?

Le problème -parce qu’il faut qu’il y ait un problème, sinon il n’y aurait pas d’article, c’est que ce raisonnement tend à idéaliser un peu la Nature. Voyons donc les limites de l’argumentaire de nos deux chercheurs.

La Nature est un concept imaginaire

Dans le contexte actuel, nous entendons par monde naturel les espaces préservés restants de notre écosystème : les forêts, montagnes, eaux profondes et autres rivières où l’impact de la civilisation se fait moins sentir qu’en ville. La Nature, c’est de manière schématique “ce qui n’est pas humain”.

Dans l’excellent traité de philosophie morale expérimentale de Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la nature humaine, un passage sur l’éthique de la nature et du progrès est assez éclairant concernant notre problématique.

Ogien cite John Stuart Mill, père de l’utilitarisme, et prône une approche moins moraliste et plus décomplexée du progrès. Ainsi, selon lui, il est absurde de prétendre que l’Homme devrait suivre un modèle de développement « naturel ».

Tout d’abord, le concept même de nature est interprétable de plusieurs manières, et même sous l’angle le plus extrême plus rien aujourd’hui n’est naturel puisque modifié de près ou de loin par l’activité humaine.

L’Homme a mis pied sur toutes les terres, a traversé toutes les forêts, tous les déserts et tous les océans. Il a exploité tous les terrains qui pouvaient supporter une utilisation agricole, a semé ses filets partout où la pêche pouvait être fructueuse.

Même les recoins les plus hostiles ont subi dans une certaine mesure son influence due à son interaction avec l’écosystème dans son ensemble (la pollution étant un bon exemple). Quelle que soit la conséquence morale que l’on puisse tirer à ce sujet, la notion de nature « vierge » n’existe plus que dans l’imagination.

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Le mythe de “l’Homme naturel”

Ensuite, qu’entendons-nous par « l’Homme naturel » ? Il nous est aujourd’hui assez difficile de séparer l’humain de son environnement, et inversement. Parle-t-on de l’Homme avant le capitalisme ? A l’Antiquité ? A la Préhistoire ? L’Homme sans sa culture ? Nous ne sommes plus soumis aux mêmes règles que les animaux depuis au moins huit millénaires, quand l’Homme a pu établir ses propres cultures de céréales et ainsi s’affranchir de la chasse. (Bien que cela ne lui ait forcément été directement bénéfique).

Tout comme la Nature vierge, l’être humain sans culture n’existe donc pas, et nous ne pouvons pas déterminer ce qu’est la nature humaine “nue”, sans aucune influence.

Pas de morale dans la Nature

Pour compléter cet argument, nous pouvons réfléchir à l’angle moral de la question d’imiter la Nature. Pourquoi ne pas malgré tout la prendre pour exemple, même en admettant que cette dernière est un concept assez biaisé ? Nous sommes des animaux après tout, n’est-ce pas normal de chercher à reproduire un fonctionnent naturel ?

Toujours selon Ogien, la nature est excessivement plus cruelle et agit de façon bien plus condamnable que nos psychopathes : la pitié n’existe pas chez le vivant. Pascal, dans sa préface du Traité du Vide, nous explique ainsi que les animaux agissent par instinct uniquement :

« Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse […] ».

L’instinct parfois cruel des animaux leur est dicté par une force innée que nous serions bien en peine de critiquer, s’agissant comme le dit Pascal de “nécessité”. La chaîne alimentaire est en équilibre, et il ne nous viendrait pas à l’idée de condamner le loup qui vient se repaître de nos moutons, puisqu’il est conçu de la sorte. Nous l’en empêchons par calcul exclusivement, parce que nous n’avons pas intérêt à voir notre bétail dévoré.

Pourquoi vouloir imiter un système sous une justification morale alors qu’elle ne correspond pas à nos propres critères de moralité ?

Loin d’être évident, cet argument de l’amoralité de la nature permet de nous éloigner un peu plus de l’idée d’une Nature que nous devrions imiter à tout prix.

La seule réserve que l’on peut édifier à ce sujet concerne le degré de cruauté qui différencie l’Homme de la bête. Si les animaux sont cruels par nature, nous le sommes par choix, ce qui est bien pire. Dostoïevski, avant de donner de nombreux exemples de tortures inventées par l’homme :

Le Tigre ou l’Homme : qui est le plus cruel ? Sawarabi: En Chine, Wu Song l’Ascète — Utagawa Kuniyoshi (1855)

« En vérité, on parle souvent de la cruauté « bestiale » de l’homme, mais c’est on ne peut plus injuste et insultant pour les bêtes : un animal ne peut jamais être aussi cruel que l’homme, si artiste, si raffiné dans sa cruauté. Le tigre mord seulement, il déchire et ne sait faire que cela. L’idée ne lui viendrait pas qu’on puisse clouer la nuit les gens par les oreilles, même s’il pouvait le faire » (Les Frères Karamazov).

Cependant, même si le tigre se comporte de manière comparativement moins cruelle que le bourreau humain imaginatif dans la torture, l’absence d’obligation morale vis-à-vis de ses crimes l’exclut de toute exemplarité pour nous. En substance, le comportement animal ne peut nous servir de guide, en bien comme en mal.

Revoir notre conception de la Nature

Ainsi, on peut proposer une réponse préliminaire à la question d’imiter la Nature en redéfinissant le concept même de Nature.

D’une part, ce dernier n’est plus qu’une notion imaginaire et subjective. De l’autre, nous ne partageons pas avec le monde non-humain les mêmes notions de morale.

Sans redéfinition des termes, prêcher un retour à la Nature n’apparaît donc pas être la meilleure solution pour sauver la planète.

Dans ce cas, quelle serait ladite solution ? Sommes-nous seulement capables de nous entendre pour organiser un système écologiquement viable ?

Un monde à notre image

Une des caractéristiques de l’humain est son impact sur le monde. Aucune autre espèce que nous ne s’est autant approprié l’espace dans lequel il évolue. En fait, nous sommes radicalement différents du reste de l’écosystème, et c’est pour cette raison que nous ne devrions pas nous attacher à nous en inspirer.

Les vainqueurs l’écrivent, les vaincus la racontent

Ce n’est pas parce que le monde naturel (par opposition au monde humain) est basé sur un modèle que l’Homme est supposé le suivre. Nous agissons selon une logique différente, une logique bien à nous. Il suffit de regarder notre comportement au cours de l’histoire.

Pour contredire la thèse de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, l’humain a démontré qu’il n’a pas besoin d’influence externe pour mal se comporter. Même avant l’avènement de l’économie de marché, nous nous organisions en compétition plus qu’en coopération.

Citons au hasard l’esclavagisme qui durera jusqu’au XIXème siècle (!), l’asservissement des serfs sous la féodalité, l’écrasement du Tiers-État avec la monarchie, ou plus tardivement les révolutions arabes de 2011 ; tout cela sans même parler des guerres incessantes entre clans, tribus, cités, États, alliances qui rythment l’Histoire. Plus que compétition, l’Homme n’est que luttes de pouvoir.

Si l’influence de l’environnement était à l’origine de l’altruisme ou de l’individualisme humain, pourquoi fait-on toujours la guerre ? Pourquoi nous sommes-nous organisés en économie de marché et de rente ?

La question qui se pose finalement est similaire à celle de l’œuf et la poule : l’Homme est-il influencé par le capitalisme, et donc une surabondance, ce qui cause son individualisme tant décrié ; ou le capitalisme est-il une création de l’Homme parce qu’il représente au mieux ce qu’est l’être humain ?

Un système économico-politique comme extension de notre désir de conquête

La citation du début opposait la recherche du point d’équilibre dans la nature et du point d’expansion pour l’humain. Finalement, la comparaison n’est peut-être pas si pertinente. Et si l’Homme n’était pas conçu pour la stabilité, mais pour la conquête ?

Après tout, comme le souligne Yuval Noah Harari dans son best-seller éponyme, Homo Sapiens est la seule espèce d’humains à avoir survécu de l’époque où nous partagions la Terre avec notre cousin Neandertal il y a 40.000 ans. Rien ne prouve que nous soyons à l’origine de la disparition de Neandertal, mais nous sommes là, et plus lui -bien qu’il survive dans nos gènes grâce aux croisements entre nos deux espèces.

Petit à petit, notre espèce a conquis tous les territoires, tous les environnements, pour s’imposer comme le grand gagnant de la chaîne alimentaire : le superprédateur.

Dès lors, il semble paradoxal de vouloir remettre en cause notre modèle économique fondé sur l’expansionnisme puisque ce dernier correspond à notre “nature humaine”.

Le capitalisme serait une simple extension de ce qu’est l’Homme -dans ses interactions avec la nature ou ses pairs- qui depuis ses origines apprivoise son environnement, soumet les éléments et hiérarchise les membres de sa propre espèce ; de manière générale s’inscrit dans une compétition permanente.

Il ne viendrait pas à l’idée d’une fourmi, d’un saumon ou même d’un singe (quoique…) de coloniser Mars, tout simplement parce qu’ils n’ont pas la capacité. Or, cette capacité est une pleine composante de notre humanité : on peut même définir notre opposition à l’animal par notre champ d’action infiniment supérieur au sien.

Ainsi, de nombreuses espèces ont colonisé de larges territoires : les fourmis, les nématodes, ou même les léopards en Amérique du Sud. Mais sans les capacités d’humain dont nous jouissons (cognitives ou techniques), leurs conquêtes font pâle figure à côté des nôtres.

N’est-ce pas illusoire de vouloir s’attaquer à un système représentatif de ce que nous sommes, donc à nos défauts intrinsèques ?

La question du progrès

S’il fallait un autre argument dans ce sens, nous pourrions montrer qu’il existe encore une divergence entre la nature et l’être humain : le progrès.

On peut définir le progrès comme une amélioration de la civilisation, une avancée vers ce que l’humain devrait être idéalement.

L’évolution (au sens darwinien) n’est pas un progrès mais simplement une adaptation naturelle, dépourvue de fait d’objectif intrinsèque. Or l’Homme recherche le progrès, et la nature l’évolution.

Nous valorisons l’intelligence, qui mène au progrès, mais cette notion a-t-elle un sens dans le monde du vivant ? Si certaines espèces sont réputées pour être plus intelligentes que d’autres (éléphants, dauphins, singes), qu’en est-il d’une intelligence entre membres d’une même espèce ?

Si nous partons du principe que le capitalisme est le système le plus propice au progrès, et qu’il est censé valoriser au mieux l’intelligence par un mécanisme d’ascension théoriquement méritocratique (e.g. modèle du Self Made Man), alors il semble cohérent que nous nous départissions une fois de plus de l’idée qu’un modèle imité de la nature est forcément meilleur.

L’Homme et ses besoins

En outre, tous les hommes ont plus ou moins les mêmes besoins décrits par Maslow : se sustenter, être à l’abri, rechercher le plaisir.

A contrario les animaux, selon leur espèce, se contentent tous d’un besoin distinct ; quand entraide entre l’abeille et la fleur il y a, la plante tire un bénéfice de l’échange qui sera différent de celui de l’abeille. Pour l’une sera satisfait le besoin de “répandre le pollen dans un but de reproduction”, pour l’autre ce sera “se nourrir du suc”.

Le point important est que les désirs animaux sont programmés pour faire fonctionner la grande machine du vivant, même les pulsions les plus primitives servent au moins à la chaîne alimentaire ou à la survie de l’espèce.

Alors que, lorsque les hommes s’entraident, chacun désire la même chose que l’autre : tout le monde veut de la nourriture, un abri, de la reconnaissance mais surtout du pouvoir.

Notons qu’ici l’opposition est faite entre Homme et Nature, “humain” et “non-humain”. Les animaux d’une même espèce, comme les humains entre eux, ont bien les mêmes objectifs. Ce sont les désirs de leurs espèces respectives qui divergent.

L’être humain formant une seule espèce, tous ses composants sont attirés vers des buts similaires. Sauf que leurs envies ne servent pas forcément l’équilibre “naturel” : à quoi sert la reconnaissance de ses pairs pour l’écosystème (quoique qu’elle soit essentielle à l’ego de l’individu) ?

La lutte permanente serait la norme ?

Étant donné que nous ne pouvons produire qu’en quantité limitée, une lutte permanente s’installe. Nous sommes, par nature, poussés vers la compétition entre pairs.

La lutte permanente ? Photo by cloudvisual.co.uk on Unsplash

Impossible ici de passer sous silence le lien avec la pensée marxiste selon laquelle l’Histoire n’est qu’une succession de luttes de pouvoir entre groupes d’Hommes, problématique que le communisme est censé résoudre en répartissant ce dernier ainsi que les moyens de production de manière équitable.

Sans aller trop loin dans la critique puisque ce n’est pas le sujet, il semble que même si l’on arrivait un jour à créer des conditions de communisme très proches du modèle théorique de Marx, tôt ou tard réapparaitraient des dissensions causées par ce besoin de domination que nous portons en nous.

On peut alors questionner la pertinence d’un modèle économique ou politique qui viserait à placer de nouveau l’humain dans le cycle naturel qui existait avant lui. Peut-être n’est-il simplement pas conçu pour cela.

Il s’agit de trouver un système qui, sans que nous nous autodétruisions, nous laisse exprimer nos désirs fondamentaux de domination et de progrès.

De ce point de vue, bien que vicié de toutes parts, le capitalisme ne s’en sort pas trop mal puisqu’il favorise la concentration de pouvoir tout comme l’innovation technologique via le système de rente.

Sommes-nous seulement capables de nous entendre pour organiser un système écologiquement viable ? La réponse à cette question posée plus haut est donc simple : non. Nous ne sommes pas faits pour nous entendre et sauver la Terre. Nous sommes faits pour dominer nos pairs -et tout ce qui se situe dans l’univers.

En fait, les désastres écologiques et sociaux que le capitalisme engendre ne sont que la conséquence de notre action en tant qu’humains, l’émanation de notre nature profonde.

On a le système qu’on mérite

L’humain s’est extrait de sa condition d’animal à coup de progrès cognitifs puis techniques, s’éloignant toujours plus de l’environnement qui l’a vu naître. Nous ne dépendons plus d’éléments qui nous dépassent. Nous avons changé les règles du jeu.

Mais pour quoi faire ?

La question se pose car, malgré des gains incommensurables en qualité de vie, nous semblons toujours prompts à verser dans les mêmes défauts : individualisme, violence, et intolérance sont de bons prétendants au titre de nos pires penchants.

Nous avons beau être de plus en plus éduqués, nous restons une espèce de primates. Des primates qui envoient des sondes en dehors de l’héliosphère, certes, mais aussi qui se massacrent toujours pour des questions religieuses.

Si nous admettons que la Nature n’est pas ce qu’on imagine, il convient de se questionner sur notre propre comportement : et si nous étions fondamentalement mauvais ?

La question de la nature humaine prend ici tout son sens. Si le comportement de l’Homme n’est pas favorablement influencé par ses progrès, la légitimité de ces progrès peut être mise en cause. Pour le dire simplement :

À quoi bon être plus riches si l’on n’est pas aussi plus évolués ?

L’amélioration est toujours souhaitable

Nous avons vu que le fonctionnement de la Nature était intrinsèquement différent du nôtre, l’histoire ayant démontré que nous ne sommes pas faits pour l’équilibre. Loin de s’inscrire dans le respect de son écosystème, que les animaux suivent par instinct ou sélection naturelle, l’Homme trace sa propre voie en se préoccupant peu des dégâts collatéraux.

Pour nuancer l’opposition avec l’écosystème naturel toutefois, n’oublions pas que, tout équilibré qu’il est, ce dernier n’a pas empêché l’avènement d’extinctions massives comme l’extinction permienne survenue il y a 250 millions d’années.

Cette crise a rayé de la carte 95% des espèces marines et 70% des espèces terrestres de l’époque, ce qui représente un meilleure “score” que celui des humains.

Pour l’instant.

Car si ces extinctions restent exceptionnelles à l’échelle de notre planète (la Terre n’a connu que cinq extinction massives en 4,5 milliards d’années de vie, et elles se sont toutes déroulées il y a plus de 60 millions d’années), les humains pourraient être à l’origine de la prochaine.

Nombreux sont en effet les scientifiques à alerter sur la venue de l’extinction de l’Holocène, causée par les conséquences de l’activité humaine. Nous serions alors les premières victimes de nos agissements.

Ainsi, admettre que nous ne sommes pas conçus pour respecter l’ordre naturel n’est pas une justification suffisante pour le détruire, pour la bonne raison que nous ne voulons pas être la prochaine espèce à disparaître (ou le voulons-nous ?).

La Nature ne recherche rien en soi et ne fait que s’équilibrer, mais notre statut d’espèce consciente et capable d’actions à grande échelle nous place à part de cet équilibre. Un volcan ou une météorite qui annihile des millions d’individu n’en a que faire, mais ce n’est pas notre cas.

Être capable de ruiner l’écosystème est fondamentalement différent de souhaiter le faire.

Dès lors, et si la clé de notre salut passait par un changement de paradigme ?

Et si nous voyions le progrès comme une quête vers du mieux, plutôt que du plus ? Un progrès qui respecterait notre nature humaine expansionniste, tout en sauvegardant notre espèce -et cette nature que nous aimons malgré tout.

Notre nature de conquérants devrait nous pousser vers l’amélioration continue, et nous devons réaliser qu’aujourd’hui, l’amélioration passe par la prise en compte de la santé de notre planète.

Pour un capitalisme vert

En somme, la question qui se pose est encore ouverte.

Est-il possible de fonder un modèle politico-économique qui promeuve l’entraide et la sauvegarde des autres espèces tout en fermant la porte au vice humain de quête de pouvoir ?

La tâche semble ardue, même si l’on essaye de prendre exemple sur le monde naturel où tout est question de flux, de cycles, d’aller-retours. Un système fondamentalement bon apparaît difficilement concevable.

Le capitalisme a ses défauts, c’est un fait indiscutable. Il va détruire la planète si nous le maintenons sous cette forme. Mais le capitalisme est aussi le modèle le plus proche de nos travers humains.

Cherchons alors à améliorer au mieux son fonctionnement, réduisons les inégalités, inventons de nouvelles façons de produire de l’énergie, recentrons-nous les uns sur les autres.

À cet égard, la Nature peut d’ailleurs être une excellente source d’inspiration d’un point de vue technique comme philosophique, nous permettant de sortir de notre nombrilisme habituel.

Nous devons œuvrer à la construction d’un capitalisme vert, dont l’objectif serait dévié du profit vers d’autres buts, comme le respect des autres espèces ou le bien-être des humains par exemple.

C’est par cette voie que nous parviendrons à sortir de l’impasse pour, un jour, peut-être, aboutir à un meilleur système.

Pour Albert Camus dans L’homme révolté, « il n’y a donc, pour l’homme, une action et une pensée possibles au niveau moyen qui est le sien. Toute entreprise plus ambitieuse se révèle contradictoire ».

Afin d’être efficaces, peut-être ne devrions-nous pas nous perdre dans des modèles qui continuent à idéaliser les humains en ne prenant pas en compte leurs défauts.

Concentrons-nous sur la construction d’un monde meilleur à notre mesure, et pas à celle d’un idéal naturel qui n’existe que dans notre esprit.

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